Le groupe de rock farmers, The Inspector Cluzo, a répondu à nos questions lors du Brussels Summer Festival.
Tantôt en tournée à travers le monde, tantôt fermiers, The Inspector Cluzo nous ont intrigué. Nous avons profité de leur passage au Brussels Summer Festival le 15 août dernier pour aller à la rencontre du chanteur et guitariste, Laurent Lacrouts.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Laurent : On est Inspector Cluzo, un duo de blues rock, pour faire dans les grandes lignes, originaires de Mont de Marsan. Cela fait 24 ans qu’on joue ensemble et 10 ans qu’on existe. On a une structuration particulière car on est autonome. On est nos propres producteurs et on possède une ferme bio. On se projette au niveau international aussi avec nos fonds propres.
Vous avez enregistré un nouvel album. À quoi peut-on s’attendre ?
On va en jouer pas mal ce soir. C’est un album qui est un reflet de la vie qu’on mène, comme tous nos albums d’ailleurs. Depuis 2 ans on bosse énormément à la ferme, et il n’y a rien d’autre que le silence à part le bruit des animaux et les tracteurs. C’est donc un album très connecté à la terre. L’air s’entend dans notre album, on n’a pas peur du blanc ni du silence. C’est la particularité de la musique rurale. Évidemment, l’album reste électrique car on fait quand même du rock.
« Il y a un océan entre Paris et nous, en termes de musiques, de comportements. Là où on vit c’est un autre pays. »
C’est très différent de ce qu’on entend en France actuellement.
No comment ! (sourire) Il y a un océan entre Paris et nous, en termes de musiques, de comportements. En terme de tout. Là où on vit c’est un autre pays. C’est un endroit très accueillant avec une mentalité anglaise et un humour pourri – que vous comprenez très bien d’ailleurs. Les vieux sont énormes chez nous. Avec l’accent qui va avec, la phrase qui reste en suspend : « tu voulais dire quoi ? ben je sais pas ».
Pour enregistrez, vous êtes allés jusqu’aux États-Unis afin de travailler avec Vance Powell. Que vous a apporté cette collaboration ? Est-ce que cela a changé quelque chose par rapport à ce que vous vouliez faire ?
Non, les maquettes étaient déjà faites. Mais c’est la première fois qu’on a un regard extérieur. On a toujours tout fait tout seuls. Vance est fan de notre musique et nous a dit qu’il était notre homme si on voulait, qu’il adorerait nous enregistrer. Alors, on s’est bien préparé car c’était à l’ancienne, sur bande. Et tout s’est bien passé. En 4 jours on avait fini.
C’est un producteur pas trop intrusif. Sa devise est : » I’m here to take the best version of yourself « . Donc c’est génial. Après il ne prend que des gens qui ont un univers qui sonnent et il en retient la meilleure facette. Il ne dit pas : là c’est ton défaut on va le travailler. Il se concentre sur le positif.
J’ai noté tout de même que vous travaillez sans basse. Je ne comprends pas c’est vital pourtant ! Je dis ça parce que je suis bassiste évidemment.
(rires) Ah d’accord !
Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Depuis le 1er album on a fait une chanson, Fuck the bass player, qui nous a permis de voyager dans le monde entier. En fait le bassiste ne s’est jamais pointé aux repets. Et on a vu qu’il n’y avait pas de place entre nous deux donc on a fait sans. Du coup, on a adopté un coté un peu jazz et le batteur a changé son jeu. Il est très percusif.
Passons à l’agriculture. Vous avez une ferme bio. Comment gérez vous cela avec vos concerts et vos déplacements ?
Hé ben c’est la merde ! Ça demande de l’organisation pour nous et beaucoup d’aide. On a ma femme qui bosse à la ferme, nos voisins qui sont là. Après on ne part jamais sur de grandes périodes ni sur des périodes clefs. On ne part pas sur la récolte du blé mi juillet ni en janvier pour le gavage. Pour le moment ça se goupille super bien.
Nous avons également vu que vous avez joué dans des salons de l’agriculture mais en même temps vous vous retrouvez dans un grand festival comme celui-ci. Comment vous décidez du lieu de vos représentations ?
C’est quand ça nous tient à cœur et quand c’est cohérent. On a des propos avec des convictions fortes dans nos chansons. Et il y a des endroits avec de vraies valeurs. C’est très consensuel. Au salon de l’agriculture il y avait une acoustique super intéressante et on joue devant des vaches. C’est original. Par exemple quand c’est un festival avec Live Nation, on prend le cachet et on le reverse. Là on attend une réponse pour jouer en Argentine et au Brésil.
Par contre il y a des endroits où on ne veut pas aller car il y a des conflits d’intérêts, où si la programmation ne nous correspond pas. On vient de jouer au festival Le bout du monde en Bretagne. C’est un festival magnifique et c’est cohérent. Type africain avec du bon son. On est du rock donc de la world music pour eux. On a emmené 20 000 personnes et c’était formidable.
« C’est important de préserver les cultures locales dans un pur but écologique. »
Et quand vous jouez à l’étranger, en profitez-vous pour échanger des savoirs agricoles avec les locaux ?
Oui on le fait souvent, dès qu’on peut. On aime bien discuter avec les locaux. C’est important de préserver les cultures locales dans un pur but écologique. Eux savent exactement comment faire là où ils sont, et cela n’aura rien à voir avec le régime alimentaire. Ici on mange du poisson à telle période, puis un autre aliment à une autre période, et c’est logique, fluide. C’est des endroits où tu te sens Humain avec la preuve qu’on arrive à s’adapter, qu’on n’est pas que négatif.
Je vais vous donner un exemple. Le gavage chez nous, c’est une technique d’autonomie alimentaire depuis 680 ans. Les générations précédentes gavaient les canards et les oies et la viande grossie permettait au peuple de manger tout l’hiver. Les rillettes étaient gardées pendant tout l’hiver, comme le beurre. Sans ça ils mourraient de faim. Quand on explique ça a Madagascar on leur dit : vous verrez, vous aurez vachement à manger alors gavez vos canards avec du riz ou du maïs. Maintenant, quand cette technique est prise par l’industrie, ça dérape toujours. À la base c’est ça. Je vous l’explique car vous avez l’air ouverts d’esprit, je le dis pas à tout le monde.
J’apprends aussi à beaucoup de jeunes à gaver comme il faut les animaux, pour qu’ils le transmettent à leurs enfants ensuite. Et puis ce gavage est sain. C’est du maïs qu’on donne, et c’est encore mieux quand il est bio.
On va passer à autre chose. Vous avez une biographie sur vous qui est sortie. Est-ce que cela a eu un impact sur votre groupe, un retour ?
Alors on commence mais c’est sur que c’est pas un album ou un film et les gens ont du mal à lire plus de deux paragraphes. Il s’est bien vendu pour un livre et c’est vrai que les gens ont eu un regard un peu halluciné après l’avoir lu mais après on dit des conneries donc ça passe.
L’auteur a passé beaucoup de temps avec moi. Il venait avec moi à 6h du matin pour gaver. Il devenait fou à l’idée de faire ça pendant 25 jours. Il a un peu halluciné sur notre façon de vivre et il l’a bien retranscrit. On est content.
C’est une trace, un témoignage qui restera. La musique reste mais il faut une autre trace. Et on sait nous avec Mathieu qu’on ne travaille pas pour notre génération, – en plus, la plupart du temps c’est des abrutis -, mais pour la génération suivante, pour nos enfants car on sait que dans 20 ans les gens seront obligés de considérer le fait de se faire à manger et il faudra leur expliquer. Nous, on est la dernière génération qui a appris et on a eu ce réflexe de dire qu’il ne faut pas que ça se perde. La ferme deviendra une ferme école à terme pour que chacun puisse apprendre. Et ce qui sera appris sera transposable un peu partout, car, faut pas le croire, mais on a suffisamment de place sur notre planète pour ça. Ce n’est pas aussi catastrophique que ce qu’on veut nous faire croire.
Avec toutes ces casquettes, producteur, musicien, agriculteur, comment tenez-vous le coup ? Quelle est la clef de votre réussite ?
Je ne sais pas si c’est une réussite mais on essaie. Après c’est une vie monacale. On a jamais de vacances. Je n’ai pas vu ma femme pendant 1 mois. On n’est pas très fatigué mais après on ne fait pas la fête, on ne boit pas. On est en bonne santé, on se sent bien et on est porté aussi par un truc. On a la foi et l’énergie de la terre. On n’est pas du tout des hippies mais il y a quelque chose de très fort, ça fait naître quelque chose.
C’est pour ça qu’on commence une grande carrière en Amérique du Sud. Eux sont très connectés et sentent quelque chose de très fort en nous.
Dernière question. Si vous aviez un livre, un film ou une musique à conseillez pour faire changer les mentalités, que citeriez-vous ?
Le livre de Masanobu Fukuoka La révolution d’un seul brin de paille. C’est le père de l’agriculture sauvage et écologique. Il a inventé la technique du riz sans eau dans le Japon post seconde guerre mondiale. Ce livre est puissant et en plus il y a la mentalité japonaise de distance, ce qui renforce le truc.
Après il y a tous les auteurs d’Amérique du Sud comme Gabriel Garcia Marquez avec le réalisme magique. C’est difficile à expliquer, c’est le fait de vivre une situation réelle mais le moment est tellement magique que tu te demandes si tu l’as vraiment vécu et c’est ce qu’ils recherchent en Amérique du Sud.