8 ans après avoir traité une campagne électorale dans La Chute d’une Nation, Yann Reuzeau revient avec Les Témoins. Une pièce à voir à la Manufacture des Abbesses jusqu’au 22 mars 2020.
Les Témoins se déroule quelques heures après l’élection d’un certain Thomas Mérendien, candidat d’extrême droite élu président de la République. Un scénario dramatique et terriblement réaliste imaginé et mis en scène par Yann Reuzeau.
La pièce
Les Témoins est un journal reconnu pour son sérieux et son intégrité. Pourtant, l’arrivée au pouvoir d’un candidat d’extrême-droite va bouleverser l’unité de la rédaction désignée comme LA cible à abattre. Tous s’interrogent : faut-il jouer le jeu ou entrer en résistance et défier le pouvoir ? Tant de questions qui divisent brutalement la rédaction.
En quête de liberté, les personnages se lancent dans une course effrénée avec des enquêtes aussi explosives les unes que les autres. En tête, la rédactrice en chef adjointe Catherine Stère (Sophie Vonlanthen) essaie tant bien que mal de garder l’espoir que la liberté de la presse ne sera pas muselée malgré la pression de plus en plus grandissante du pouvoir sur les journaux.
Autour d’elle s’orchestre la vie de la rédaction. Alors que Eric (Frédéric Andrau), le rédacteur en chef, prend peur, les journalistes travaillent sur diverses affaires. Anna (Frédérique Lazarini) est sollicitée à l’Elysée tandis que Rebecca (Marjorie Ciccone) dévoile une affaire dantesque d’espionnage industriel commandité par un proche du nouveau président. De son côté, Cyril (Frédéric Andrau) s’infiltre dans un groupuscule écologiste radical et découvre leurs plans terroristes. Par le biais de Romain (Morgan Perez) on découvre également une ébauche de résistance armée préparant un Coup d’Etat. Quant à Hassan (Tewfik Snoussi), il suspecte qu’un pays ami ait tué un agent secret français.
Une condamnation morale
Les Témoins met en avant un système où les condamnations morales sont nombreuses. Rapidement, les premières mesures pleuvent, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont radicales. En effet, le président Mérendien – qui apparaît uniquement dans des séquences pré-filmées – met en place un système visant à classer la population selon leurs origines et leur arrivée sur le territoire français.
La presse voit quant à elle ses droits durcis via le biais d’une loi nommée PAWLOC. Désormais, toute diffamation et injure est passable de cinq ans de prison ferme. Ainsi, les journalistes doivent obligatoirement dévoiler leurs sources sous peine de condamnation. À noter que cette loi ne vise pas seulement les écrits qui déplairaient au Président. Ainsi, on prend conscience de ce que serait le pays sous un tel diktat.
Un décor modéré pour une ambiance discordante
À peine entrés dans la salle, nous sommes confrontées à un homme assis. L’air soucieux et angoissé, il semble réfléchir. Alors que la salle se remplit, il fait les quatre cents pas. Outre cette présence intrigante, le plateau s’apparente à une cellule de crise. En bout de table, apparaissent les noms des Témoins tandis qu’au-dessus, un écran affiche la home page du journal, ses archives ainsi que le mode édition façon WordPress de chaque journaliste.
La tension est permanente. Chacun explose à mesure que l’étau dictatorial se resserre. Les relations humaines se fissurent comme le décor, qui n’est plus qu’un champ de ruines à la fin de la représentation.
Une pièce terriblement dystopique
A côté des frictions entre les personnages, l’intrigue fait en sorte que le spectateur devienne lui aussi un témoin de ce vacillement du journalisme. On peut notamment y trouver des échos avec 1984 de George Orwell mais aussi avec les thématiques des fake news, largement relayées aux Etats-Unis ou au Brésil, au sens où Les Témoins se trouvent pris au piège d’un pouvoir qui les dépasse.
Au-delà de l’épouvante grandissante, il faut souligner la qualité de jeu des comédiens, habités par leurs personnages au point que l’on ressent en nous-mêmes le climat anxiogène de la rédaction. Et si cela se produisait pour de vrai, que ferions-nous ?