Chronique : « Vox » de Christina Dalcher

Dans Vox, Christina Dalcher raconte l’histoire d’une femme dont le destin à priori scellé, va lui permettre de jouer un rôle décisif pour son pays. Vox, est le premier roman de l’autrice américaine Christina Dalcher. Ce récit dystopique prend place dans une société américaine où toutes les femmes sont limitées à 100 mots par jour. Et pas un de plus. Mais cela risque de changer à ses risques et périls pour le personnage principal. On vous donne notre avis ! Une femme prise au piège En apparence, l’héroïne de Vox vit dans le meilleur des mondes. Jean McClellan habite une belle maison d’un quartier huppé avec ses quatre enfants et son mari. Mais les apparences peuvent être trompeuses. Car si tout semble aller pour le mieux, Jean ne peut pas dire tout ce qu’elle veut. Du moins, oralement. En effet, un compte-mots accroché à son poignet envoie une décharge électrique dès qu’elle dépasse le quota défini à 100 mots par jour. Afin de nous parler le plus possible, Christina Dalcher a fait le choix de placer son histoire aux États-Unis, dans un futur fictif qui semble très proche de notre ligne temporelle. Contrairement à la présidence actuelle, c’est le Révérend Carl Corbin, un fondamentaliste chrétien bien décidé à remettre les femmes dans le droit chemin, qui tient le pays sous sa coupe. D’ailleurs on pourrait comparer le régime en place à celui de Gilead dans La Servante Écarlate (Margaret Atwood). Car, tout comme dans le roman d’Atwood, les opposants au régime – principalement des femmes -, sont envoyés dans des camps. Cependant, contrairement à ce roman, Vox ne va pas aussi loin dans la pensée puisque les femmes ne sont pas dans l’obligation de procréer. Étant donné que le frère du Président va se retrouver dans l’incapacité totale de s’exprimer en raison d’une « aphasie de Wernicke », Jean va entrevoir l’espoir d’échapper à sa condition. En effet, le révérend Corbin va lui proposer un marché. Dans le cas où elle trouverait un remède pour guérir l’homme, elle, ainsi que sa fille Sonia, seraient momentanément libérées de leurs chaînes. Une ode au pouvoir des mots et à la parole Christina Dalcher étant docteure en linguistique, rien d’étonnant à ce que son personnage principal soit spécialisé dans l’étude du langage et des neurosciences. De fait, lorsqu’on lit Vox, on est parfois pris d’une irrépressible envie de parler. De faire entendre sa voix. Tout cela par frustration de voir les personnages du roman en être interdit. Vox, c’est aussi l’histoire d’un combat féministe. D’une lutte contre un pouvoir conservateur et patriarcal où la moindre tentative de rébellion est immédiatement muselée. C’est notamment le cas de Jackie – la meilleure amie de Jean -, qui l’avait pourtant alertée sur la mise au silence des femmes. Par ailleurs, le roman nous averti sur les dérives inhérentes à chaque invention. Ici, on parle évidemment du compteur de mots ainsi que la misogynie qui en découle. Le tout, constamment avec une vision conservatrice de la religion. Durant notre lecture, cette situation nous a notamment rappeler la célèbre citation de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Des faits bien réels puisque partout dans le monde, des femmes sont actuellement en train de perdre leurs droits. C’est pourquoi dans Vox, Jean s’attèle à donner de la voix. Pour elle, mais aussi pour sa fille et toutes les autres femmes. Avis général Plus on avance dans Vox, plus on remarque des ressemblances avec 1984 de George Orwell. Car ce qui est fascinant avec les dystopies, c’est le fait de nous mettre face à une situation en apparence « normale ». Pourtant, elle apparaît rapidement plus clivante, dérangeante. Une situation qui nous fait réagir et nous interroge en tant que lecteur. Et surtout en tant que femme. Que ferions-nous à sa place, si du jour au lendemain, nous nous retrouvions sans voix ? Nous plierions nous à notre destin ou voudrions nous nous révolter ? Voudrions-nous nous battre pour nos droits comme sont en train de le faire les libanaises ? Ce que l’on peut garantir, c’est que Vox ne laisse pas indifférent. Avec ce roman, on se remet continuellement en question. Sur nous, mais également sur des droits qui ne seront jamais définitivement acquis. Pas tant que les hommes sembleront craindre leurs homologues féminines. Car pourquoi vouloir toujours nous contrôler, si ce n’est par peur ? En effet, qu’importe la dystopie que l’on peut lire mettant des personnages féminins en avant, cette impression de vouloir faire taire les femmes est omniprésente. Christina Dalcher n’a pas dérogé à la règle, la mettant même au premier plan. Au final, à l’heure où les inégalités sociales n’ont jamais été aussi présentes, Christina Dalcher interroge les dysfonctionnements et les dérives potentielles de nos démocraties. Et vous, qu’avez-vous pensé de Vox ? Elisa HUMANN SUGGESTION D’ARTICLES SUR LE MÊME THEME NEWSLETTER Facebook Twitter Instagram Tiktok Spotify Linkedin
La Masculine : Un roman sans un mot masculin
Un monde sans homme ? C’est ce que nous propose Laurence Kiehl dans son roman La Masculine, sorti le 27 septembre 2018. Avec La Masculine Laurence Kiehl – alias Qui-Elle – nous plonge dans une dystopie au milieu d’une capitale parisienne où la révolution gronde. Les hommes ont tous été emportés par une mystérieuse maladie – ou presque, le dernier rendant son dernier souffle au cour du roman-. La lutte des classes est plus présente que jamais. Comment se passe la vie sans les hommes ? C’est ce que nous allons découvrir ! Une dystopie misandre Présentée comme féministe, La Masculine nous a plutôt amené vers une vision misandre du monde. En effet, gouverné par un « hydre » féminin, le pays tombe dans la monarchie. Un hydre à trois têtes dont on ne voit d’ailleurs jamais le bout du nez, alimentant les rumeurs dans la capitale. La raison ? L’éviction de la télévision jugée trop néfaste ne laissant place qu’à des allocutions radiophoniques. Alliées aux Immortelles de l’Académie Linguistique Française, le trio a transformé le langage français. Subsiste alors une véritable répression quant à l’utilisation de mots masculins. Pour se faire, une police – les audio-fliques – est mise en place pour faire régner la loi, condamnant les femmes à voir leur bouche plissée si elles utilisent ces mots. Mais ce n’est pas tout. En plus de subir une extermination, l’homme est tout simplement réduit à un corps malade et inutile à la société. Les mots masculins ayant disparus du vocabulaire, « masculines » ou « couillues » servent à les nommer. Quant au dernier homme, ne pensez pas une seconde qu’il mérite un enterrement dans les règles de l’art. Pour lui, ce sera direction la fosse commune. D’accord, si on comprend le choix de ne pas l’envoyer à « la Panthéonne », celui de la fosse commune nous paraît vraiment extrême. En parlant de « la Panthéonne », cette dernière est réservée à l’enterrement de femmes célèbres. Nous a également marqué le fait que l’homme est « forcément » le seul à manger de la viande. En effet, pour se venger de leur consommation de viande des millénaires durant, une bactérie se serait développée chez les animaux. Bien sûr, il est bien connu que seule les femmes ne mangent pas de viande (spoiler : non !). À trop vouloir montrer une image parfaite et sans bévue de la femme La Masculine devient lourd et ennuyant… Une écriture originale L’originalité de La Masculine réside dans sa volonté d’une histoire sans un seul mot masculin. Pour palier à cela, Laurence Qui-Elle (Kiehl) fait le choix d’une Langfem. En somme, la féminisation de tous les mots masculins. De « moi-e », « toi-e », « lui-e » en passant par « grande-mère » ou encore « elle était une fois », l’autrice bouleverse l’orthographe française. Par ailleurs, certains mots sont tout simplement interdits tel que “on”, “il”, “ils” et bien sûr « homme ». « La putain de chasse à la neutralité de la langue. Arrêtons-nous trois seconds sur notre textualité ! Moi-e, toi-e, lui-e, quelle féminisation ringarde et maniérée ! » p13 Rues et autres places sont elles aussi féminisés. On se promène alors rue des Franches-Bourgeoises, près de La Notre-Dame, La Pitié-Qui-Pétrit ou encore La Tour-F-Elle. Quant aux stations de métro, elles laissent place à Sainte Michèle et l’île de la Lutèce. Comme vous pouvez le constater, rien n’a été laissé au hasard. La K – personnage principale, correctrice chez les Femmes à la plume, agence de presse-imprimerie – soulève la question du neutre à de nombreuses reprises. Par exemple, sont interdits « ça » signifiant pourtant « cette chose » et « on » qui reprendrait quant à lui « nous-les-femmes ». « …tu sais la contraction « ça » et la syllabe « on » reproduisent forcément une circonstance de femelle, la seule depuis la catastrophe. » p13 Ainsi, même si la féminisation de tout notre vocabulaire perturbe, l’écriture de l’autrice est agréable et fluide. Le niveau de langage oscillant entre courant et plus ou moins soutenu ce qui n’est pas gênant à la compréhension. Les femmes sans les hommes On pourrait croire qu’avec des femmes au pouvoir les choses évolueraient mais ce n’est pas le cas. Notre lecture de La Masculine nous a même donné l’impression que la vie sans les hommes est vouée à l’échec. En effet, l’histoire met en avant le fait que sans les masculines, les femmes ne peuvent avancer. On constate même un sacré bon en arrière. Que ce soit en raison de grèves ou d’absence de personnel, voiries et électricité posent problème. Sans hommes, des femmes nommées Thermodynamiques se doivent de pédaler pour acheminer l’électricité. De fait, on a l’impression de ne pas voir les femmes dans certains corps de métiers, alors que dans notre réalité, ils en emploient plus qu’on ne le croit. De plus, malgré les avancées technologiques, on observe de nombreuses fausses couches et un avenir des femmes mis en péril. Le roman met également en avant les différentes classes sociales. On y découvre alors de nombreuses travailleuses manuelles se mettant en grève. Ainsi, s’enclenche une ambiance chaotique. Les poubelles ne sont plus ramassées, le courrier plus acheminé. Dans les rues, des manifestantes parcourent les rues, réclamant une augmentation de salaire. Évidemment, comme c’est actuellement le cas en France, l’Hydre n’en a cure et ne bouge pas d’un pouce tant que la révolution n’est pas aux portes de leur demeure. Sans spoiler la fin, finalement La K et sa grand-mère avaient bien compris qu’un monde uniquement féminin n’était pas fait pour perdurer. Peut-être que tout n’est pas perdu ! Et vous, vous laisserez-vous tenter par La Masculine ?