Coltan Song : Investigation autour des smartphones
Collectif Blackbone – Coltan Song, un premier tome percutant et engagé autour des « minerais de sang » en Afrique ! Collectif Blackbone : Coltan Song entraîne le lecteur sur les traces des « minerais de sang ». Un roman jeunesse incisif et d’actualité écrit à huit mains et portant à réfléchir sur notre usage des smartphones. Coltan Song : Origine du Collectif Blackbone Coltan Song, ce premier tome introduit admirablement le Collectif Blackbone. Un nom qui n’apparaîtra d’ailleurs qu’en toute fin de roman. Si on vous laisse le suspense quant à sa signification, parlons du trio qui le constitue. Au coeur de cette histoire, on découvre Marie Forget. Adolescente métisse à la mémoire eidétique – photographique – et particulièrement intelligente, Marie voit sa vie bouleversée après l’hospitalisation de sa grand-mère et le décès de sa mère. Son avenir tout tracé semble ainsi remis en question. Soudainement seule, elle n’est plus certaine de vouloir poursuivre ses études et se pose toujours des questions sur la mort de son père qu’elle n’a jamais connu. C’était sans compter sur l’apparition de Hell-O, un jeune hacker persuadé que la mort d’Irène Forget n’est pas un accident. Ayant des difficultés à s’exprimer et clairement paranoïaque, il apparait immédiatement comme un personnage attachant. En revanche, de part son côté « metalleux », on n’a pu s’empêcher de penser à Lisbeth Salander (Millenium) – en moins dark. Le dernier membre du trio fait directement partie de l’entourage de Marie. En effet, il s’agit ni plus ni moins de sa marraine, Andréa. Journaliste italienne et meilleure amie d’Irène Forget, Andréa nous a également charmé. Car si elle apparaît comme une bonne vivante, elle a également une grande faiblesse du nom de PTSD. Découvrir l’univers du journalisme On ne va pas se mentir, la première chose nous ayant attirée dans Collectif Blackbone – Coltan Song est l’immersion dans l’univers du journalisme. Un univers fascinant dans lequel nous nous sommes plongées avec une facilité déconcertante. En effet, ce premier tome révèle avec fidélité les ficelles des métiers de reporter de guerre, journaliste ou encore lanceur d’alerte. Et pour couronner le tout, l’une des autrices (Maylis Jean-Préau) est elle-même journaliste indépendante. Avec elle à bord de l’aventure, l’investigation menée par le Collectif Blackbone tient parfaitement la route ! En parlant d’écriture, nous avons particulièrement apprécié la façon dont a été construite l’histoire. En effet, les auteurs nous proposent de revenir à plusieurs reprises sur la mission d’Irène Forget en Sierra Leone. S’offre ainsi au lecteur la possibilité de comprendre comment un reporter agit sur le terrain malgré l’horreur se déroulant sous ses yeux. Un fait qui reviendra d’ailleurs via le biais d’Andréa afin d’expliquer l’arrivée de son traumatisme. Juliette Binoche dans le rôle de Rebecca, une photographe reporter | L’Epreuve (2013) Vous l’aurez compris, la lecture de Coltan Song est très instructive et pourrait même devenir un vecteur à vocation pour certains lecteurs. Une enquête passionnante À l’heure où le monde se rue sur le dernier smartphone tendance, se gavant des dernières nouveautés, voilà un livre qui risque de vous faire réfléchir. En effet, nos téléphones contiennent du coltan, un minerai rare responsable de la mort de centaines de personnes chaque année. Un fait que dénonce admirablement Coltan Song. D’abord, à travers les yeux d’Irène qui voit des familles abattus de sang froid et des enfants kidnappés par la milice du Commandant Cousteau en Sierra Leone. Autant vous dire qu’en étant peu accoutumées à ce qui se déroule en Afrique, l’histoire ouvre brutalement les yeux sur la réalité. Puis, par le biais de l’enquête du Collectif Blackbone autour de la société LookEe. LookEe, c’est LA nouvelle marque à suivre sur le marché dédié aux smartphones. La raison de son succès avant même sortie de son téléphone ? Un produit à priori 100% éthique. Par là, comprenez ne puisant pas le coltan dans des minerais de sang et respectant les normes environnementales. Évidemment, cette société s’inscrit pleinement dans une volonté de greenwashing. Un sujet particulièrement intéressant car toujours d’actualité. En effet, il permet de comprendre efficacement comment des entreprises parviennent à nous vendre des produits en mettant en avant des arguments écologiques afin de cacher le moindre vice. Coltan Song est aussi cruellement réaliste quant à son tableau de LookEe. À la tête de l’entreprise, deux bêtes assoiffées de sang prêtes à tout pour que personne ne se mette en travers de leur chemin. Chemin que compte, à leurs risques et périls, prendre Marie et ses amis. Enfants travaillant pour un minerai | Photo: The Carter Center/ G. Dubourthoumieu À peine terminé, Collectif Blackbone – Coltan Song, nous a donné envie d’en savoir plus sur les minerais de sang mais aussi de faire un peu plus attention à nos smartphones. Si vous souhaitez vous renseigner sur le sujet, un rapport de 2018 recense le rang des firmes en fonction de leurs positions environnementales, animals, humaines ou encore éthique ! Désormais, on a hâte de voir ce que nous réserve la suite des aventures du Collectif Blackbone ! Et vous, avez-vous envie de vous lancer dans la lecture de « Coltan Song » ?
Les Témoins : Un drame journalistique signé Yann Reuzeau
8 ans après avoir traité une campagne électorale dans La Chute d’une Nation, Yann Reuzeau revient avec Les Témoins. Une pièce à voir à la Manufacture des Abbesses jusqu’au 22 mars 2020. Les Témoins se déroule quelques heures après l’élection d’un certain Thomas Mérendien, candidat d’extrême droite élu président de la République. Un scénario dramatique et terriblement réaliste imaginé et mis en scène par Yann Reuzeau. La pièce Les Témoins est un journal reconnu pour son sérieux et son intégrité. Pourtant, l’arrivée au pouvoir d’un candidat d’extrême-droite va bouleverser l’unité de la rédaction désignée comme LA cible à abattre. Tous s’interrogent : faut-il jouer le jeu ou entrer en résistance et défier le pouvoir ? Tant de questions qui divisent brutalement la rédaction. En quête de liberté, les personnages se lancent dans une course effrénée avec des enquêtes aussi explosives les unes que les autres. En tête, la rédactrice en chef adjointe Catherine Stère (Sophie Vonlanthen) essaie tant bien que mal de garder l’espoir que la liberté de la presse ne sera pas muselée malgré la pression de plus en plus grandissante du pouvoir sur les journaux. Autour d’elle s’orchestre la vie de la rédaction. Alors que Eric (Frédéric Andrau), le rédacteur en chef, prend peur, les journalistes travaillent sur diverses affaires. Anna (Frédérique Lazarini) est sollicitée à l’Elysée tandis que Rebecca (Marjorie Ciccone) dévoile une affaire dantesque d’espionnage industriel commandité par un proche du nouveau président. De son côté, Cyril (Frédéric Andrau) s’infiltre dans un groupuscule écologiste radical et découvre leurs plans terroristes. Par le biais de Romain (Morgan Perez) on découvre également une ébauche de résistance armée préparant un Coup d’Etat. Quant à Hassan (Tewfik Snoussi), il suspecte qu’un pays ami ait tué un agent secret français. Une condamnation morale Les Témoins met en avant un système où les condamnations morales sont nombreuses. Rapidement, les premières mesures pleuvent, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont radicales. En effet, le président Mérendien – qui apparaît uniquement dans des séquences pré-filmées – met en place un système visant à classer la population selon leurs origines et leur arrivée sur le territoire français. La presse voit quant à elle ses droits durcis via le biais d’une loi nommée PAWLOC. Désormais, toute diffamation et injure est passable de cinq ans de prison ferme. Ainsi, les journalistes doivent obligatoirement dévoiler leurs sources sous peine de condamnation. À noter que cette loi ne vise pas seulement les écrits qui déplairaient au Président. Ainsi, on prend conscience de ce que serait le pays sous un tel diktat. Un décor modéré pour une ambiance discordante À peine entrés dans la salle, nous sommes confrontées à un homme assis. L’air soucieux et angoissé, il semble réfléchir. Alors que la salle se remplit, il fait les quatre cents pas. Outre cette présence intrigante, le plateau s’apparente à une cellule de crise. En bout de table, apparaissent les noms des Témoins tandis qu’au-dessus, un écran affiche la home page du journal, ses archives ainsi que le mode édition façon WordPress de chaque journaliste. La tension est permanente. Chacun explose à mesure que l’étau dictatorial se resserre. Les relations humaines se fissurent comme le décor, qui n’est plus qu’un champ de ruines à la fin de la représentation. Une pièce terriblement dystopique A côté des frictions entre les personnages, l’intrigue fait en sorte que le spectateur devienne lui aussi un témoin de ce vacillement du journalisme. On peut notamment y trouver des échos avec 1984 de George Orwell mais aussi avec les thématiques des fake news, largement relayées aux Etats-Unis ou au Brésil, au sens où Les Témoins se trouvent pris au piège d’un pouvoir qui les dépasse. Au-delà de l’épouvante grandissante, il faut souligner la qualité de jeu des comédiens, habités par leurs personnages au point que l’on ressent en nous-mêmes le climat anxiogène de la rédaction. Et si cela se produisait pour de vrai, que ferions-nous ? Rendez-vous jusqu’au 22 mars 2020 pour voir Les Témoins sur les planches de la Manufacture des Abbesses (Paris).